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Jacques Sicard

  • LE ROMANESQUE DEVENU FOU

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    Figure noire de la psychanalyse, à qui l'on pourrait attribuer que "la vie est une maladie en pleine expansion", Freud est "inconsciemment" mélodramatique. Et sinon pourquoi le désarroi du regard mercuriel de Montgomery Clift pour mieux que tout autre l'interpréter ? A ses yeux, l’homme est incurable. Il relève tout de suite des soins palliatifs. Cela étant, (car il n'est de mélodrame sans contradiction) on peut toujours entendre ce que nous racontent les intranquillités de son âme. On peut donner visages et licence à leurs ombres entraperçues là. On peut considérer que ce théâtre bouffe à la validité d'un empire qui, à l'instar de tout empire, lorsqu'il agit, crée sa propre réalité. On peut  y voir tous les rats de Naples, de toutes les rues bientôt les rois, sous une lune d'estampe. Cela qui ne rend pas aimable. En fait même, selon l'idée que l'on commençait à s'en faire au XIXème siècle, un "homme dangereux". Où à l'insensé la littérature se mêle. Le mélodrame, c'est le romanesque devenu fou. Et c'est le filigrane ou la phrase subliminale qui court sous tout ce qu'a écrit Sigmund Freud à propos de l'ennui quand il cherche à tromper notre existence asilaire.

    (Jacques Sicard).

     

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  • ET TREMBLE D'ETRE HEUREUX

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    C'est à partir de blocs de scènes hétérogènes que se monte le cinéma de Paul Vecchiali. Neutralisant ainsi la constitution de l'unité, substance de la réalité.

    Pour lui, il l'a dit, ce qui n'est pas dialectique, et une dialectique sans l'apaisement d'une synthèse, est vulgaire. Vulgaire l'unité, vulgaire la réalité, vulgaire le sentiment amoureux, une de leurs formes dominantes. Alors, dans ses films, ce sentiment il l'exalte-l'exècre. Il le casse en deux. Le trait d'union qui lie les termes antithétiques est le seul qu'il s'autorise.

    Nul n'a donc ici à trembler d'être heureux.

    Pourquoi devrait-on craindre le bonheur ?

    Le mortel passant n'a de disposition élective qu'au chant (allez donc voir du côté de la splendeur du quatrain alexandrin qui relate la disgrâce de Giafar de Barcemide rapporté par Voltaire et auquel Vecchiali emprunte son titre). Le passage à l'acte lui est un accident.

    Quand il ne peut être empêché, et c'est toujours, le passage à l'acte, qui est passage dans la réalité unitaire, agit tel un couperet mal ajusté qui à la place de la décollation sans bavure entaille la bouche à la façon des Comprachicos - et il y a bien assez d'hommes-qui-rient.

    (Jacques Sicard)

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  • SPLENDEUR ET MALFAISANCE

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    Serait-ce pour tromper une vie de suif et l'incroyable pitrerie qui aujourd'hui en règle la quotidienne déconfiture, à savoir l'intendance, puisque l'économie n'est que la puissance de l'intendance, le pouvoir des casseroles - que Twixt réunit Coppola, Poe, Odilon Redon, soit le temps immémorial des familles, l'enfant mort Lénore, la pâleur marbrée des états seconds ?

     Le promeneur est le moins tranquille des hommes. Bien que rien n'y paraisse, son orteil lui tient lieu d'oeil. Vue terre à terre, qui est vision matérielle. C'est pourquoi elle géométrise ce qui entre dans son champ. Elle en fait un tableau.  Car la matière appelle la mélancolie. Dont l'art parfois blanchit la bile. Voici le village de Swann Valley. Voici le lieu sans bon népenthès.

     Le passé ne s'inscrit pas dans une droite linéaire , mais circonscrit le présent qui, bloqué dans la succession de ses états, se vide peu à peu de son contenu, tout en  imitant ses apparences : tout en haut du beffroi heptagonal, les sept cadrans marquant chacun une heure différente font le siège du temps qui, vaincu, sera le repas des rats.

     Le promeneur s'étourdit de ses pas. Il franchit un seuil sous un bleu conjoignant splendeur et malfaisance. Le visage de Lénore est le rond de la lune. De Lénore, on ne voit que la lividité. Il n’y a pas de quoi rire. On est donc au plus près de la vérité. Car, dit Brecht : Celui qui rit / c’est simplement que l’horrible nouvelle / Ne lui est pas encore parvenue. Quelle horrible nouvelle ? L'Eternité.

    (Jacques Sicard)

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  • A JAMAIS

     

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       Twixt est la contraction de betwixt qui signifie : entre. Entre est l'anagramme partielle d'éternité. L'éternité est une absence de temps sise entre tous les temps possibles et qui ne sont possibles que par cet entre-là. Où chaque temporalité  un jour ou l'autre entre et, détemporalisée, continue mécaniquement.

       Twixt, le film, ce n'est donc pas le Jamais plus du Corbeau de Poe, somme toute reposant, mais l'A jamais de Coppola. Le toujours. L'éternité. Soit bienheureuse, soit damnée : le choix est laissé. Vingt-quatre images par secondes ou à l'heure d'été : l'éternité. Qu'on le veuille ou non. A Dieu plaise ou pas. Exempte la beauté. Qui, elle, meurt. Mais l'éternité de la mort de la beauté. Et celle de la jeunesse à la peau de lait, paupières roses, dents baguées de fer, fine silhouette phosphorique. Et celle des vieux, courbés sur l'horizon des orteils, dont l'usure des chairs, des muscles et des os, lorsqu'ils n'enflent pas, se traduit par un creusement cachectique de tout le corps. Et celle encore du grouillant entre-deux âges, ni jeunes ni vieux, eux tous tant partie intégrante de la ceinture de la rouille autour de l'économie de la connaissance, qu'on ne les nomme plus qu'employés.

       L'éternité coercitive. Même par la voie si soucieuse d'abréger du haiku. Même à travers le geste qui n'en veut plus du suicidé. Du Pendu, un jour de vent / qui souleva la poussière / jusqu’à ses souliers. Pendu, tant de mots pour dire / ne s’est pas tu : / le son s’est perdu. Pendu, pendule / à l’arrêt ? non : cantabile / avec bruit d’arthrose. Pendu, raide, que nul / n'eut occasion de pendre / étant sac et corde. A jamais.

    (Jacques Sicard)

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  • L'ULCERATION ET LA SUTURE

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       Rien ne peut faire qu'on ne se retrouve un jour sur les chemins. Parfois, une déception amoureuse nous y jette. Peut-être au XVIIIème siècle, dans la campagne idéalisée de Gainsborough ou de Richard Wilson. Comme si elle avait été peinte à seule fin de masquer la sauvagerie consubstantielle à ses sentes pierreuses bordées d'arbres que les pluies ont saoulés de vert. Car un chemin, parce que tracé, conduit à des maisons qui sous quelque nom qu'elles se donnent sont toujours une colonie d'exploitation. N'importe quel chemin est le glacis de l'ordre terrible des animaux humains. Les feuilles caressent la joue, les fleurs enivrent, les couleurs de l'oiseau, suivant la mode consolante de l'oxymore, sont à la blessure et l'ulcération et sa suture. Chemin n'en est pas moins l'étymologie de lutte et notamment de lutte des classes. Le trimardeur l'aura vite compris. Où la lumière brumeuse est comme la main qui remonte une couverture sur l'épaule de quelqu'un qui dort, c'est pourquoi il s'imagine pouvoir s'en jouer. Qu'une pourriture édulcorée, tel que l'arrivisme, par exemple, suffit à abaisser le degré de l'extrait de pourriture. Mais non. On ne circonvient pas un maître, on le tue, à visage découvert, selon les traits que nous prête la terreur. Ensuite, on lacère le beau mensonge de l'huile sur bois du paysage qui en fut le complice. Sans quoi, on finit selon sa condition de merde, cocu pensionné, en quelque exil, avec un caniveau d'où, l'été, on peut faire venir l'eau chaude dans le tub.

    (Jacques Sicard)

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  • NIHILISTE EN SON PRINCIPE

      

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       Les formes générées par la technique cinématographique ne produisent un si puissant effet de reconnaissance (dû à l’enregistrement) que pour mieux en nier les conséquences (via sa grammaire, pourtant sommaire).

       Que ce soit par le moyen du plan séquence, qui pousse jusqu’à la facticité du simulacre la continuité du monde apparent, ou par le moyen du montage, qui fait éclater et disperse aux quatre coins ladite continuité – c’est toute la croyance qu’on peut placer dans la réalité qui, au cinéma, n’est justement plus qu’une croyance, foi du charbonnier sujette à poussière.

       Sans que jamais un vent illusionniste soulève et remodèle cette poussière dans le sens d’une réalité seconde et autrement plus réelle, comme l’Ezéchiel de la Bible l’affirme ou comme le formulent les mathématiques quand elles soutiennent le sensible par le quantique. L’imaginaire, les fantasmes, le rêve, les fantômes, la fiction, les arrière-pays, l’au-delà, les chimères, soudain sans appui concret, faute de fondements matériels, ne sont même plus raclures qu’on balaie.

       Pour autant, un film, si par exception il serre cœur et tempes, aussi nihiliste en son principe que tout film puisse être, et c’est peu dire qu’il l’est, n’est au service d’aucun rien, ce qui serait à nouveau reconstruire, être l’agent de quelque chose, se remettre au boulot, toujours sale boulot. Un film, plus justement une suite de cadres mobiles est une singularité, à savoir une forme détachée de tout.

    (Jacques Sicard)

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  • RIEN DE NATUREL

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    Le rouge gorge qui l'hiver picore la boule de graisse qu'on lui laisse. Il sautille, pique, observe, s'envole à deux pas puis revient et recommence son manège. Il ne se méfie de personne. Il arrive même qu'il la suive : cela n'en fait pas un ange gardien. Parfois, sa tête guetteuse semble opérer un mouvement à 360 degrés: il n'en est pas pour autant un démon.

    Les oiseaux ne peuvent rien pour nous. Ni contre nous. Les oiseaux et le reste. Et l'eau, monde électif des Renoir père & fils, qu'elle dorme près des canotiers ou coure sous les yoles, si étrangère, extérieure, aussi. L'homme est une créature. Comme tel, il n'a rien de naturel. Non plus, aujourd'hui, rien de providentiel. Seul le monstrueux, un peu, demeure. C'est que la main de chair appelle machinalement la prothèse du poil dans la main, les tissus des organes celle de l'épouvantail et l'orale parole celle de l'écriture, jusqu'au gribouillis. Les deux premiers sont un "écart de conduite", le dernier un "écart de langage". Le tout, c'est Boudu/Michel Simon, qui n'a pas été sauvé des eaux, les eaux l'ont régurgité ; rien moins qu'un faune, c'est un artefact ; tout en lui se soustrait à l'idée naturaliste que s'en fait Jean Renoir, et d'abord le pas léger, ébrieux, qui ne touche pas au chemin tellement il a craché sur l'usure de sa caillasse délavée avec la minutieuse colère du transi dévorant son linceul.

    (Jacques Sicard)

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  • LE DRAME DES CHOSES

      

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    Le jardin ; la maison, à travers un essaim de moucherons ; la fenêtre où le soleil grésille mais dont seule la courbure du verre, avec son effet de moire, rend justice à l’idée de l’arc-en-ciel ; les murs bruts, nus, habités par la volonté positive d’être des murs ; les quelques objets domestiques  disposés par un paysagiste d’atelier et de chevalet, c’est-à-dire un observateur endurci du drame des choses  ; le livre ouvert sur la table qui explique que « l’oppression matérielle engendre mécaniquement la pauvreté intellectuelle, l’exiguïté des revenus celle de l’esprit » ; l’homme, plus très jeune, vieil enragé, qui use de ce monde désormais clos comme un saltimbanque joue avec les vents tourbillonnants d’un limonaire, ronde et ritournelle, la routine qui jamais ne nous désespère, orgue et barbarie, comme si la répétition du même qui est l’art d’écourter les heures, avait par surcroît celui d’écourter les corps ; oui, ce sur quoi il n’est aucun vivant un peu lucide qui ne s’appuie pour ne pas être un citoyen de plus : l’habitude ; la tendre mie, la flibustière, la dame toujours égale de nos pensées, la princesse qui enroule sur son index une mèche de cheveux bruns dont avec le pouce elle fait craquer les fibres comme cosses de fruit : l’habitude, on entre avec elle dans l’inaperçu – qui le sait ?

    (Jacques Sicard)

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  • ARIANE MENT

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    Maigrichonne Ariane, que l’on ne saurait par où saisir pour avoir quelque chose sous la main, Ariane a un crâne qui affleure sous la peau – mais une peau dont le grain est de beauté – la beauté même – celle qui ment – et Ariane ment – elle ment, comme la beauté qui ne dure pas – elle ment d’aimer – mentir, c’est le moyen sans lendemain d’accorder les désirs de même nom mais de sens différent – Ariane s’invente un personnage de fiction pour séduire un homme qui ne goûte que la chair fraîche – folie ? – peut-être pas – il en va de certains mensonges comme de la beauté : savoir le néant qu’ils cachent, loin de les flétrir, les fait préférer à tout – les détours de la vieille vie auront beau éventer le romanesque d’Ariane, mettre bas ses masques, et montrer nu son crâne, rien ne pourra faire, à la fin, que le jouisseur, homo erectus moyen, celui qui porte un gland en guise de tête, ne choisisse de se blottir, cœur brisé, comme dans une cachette, au fond de ses yeux d’amande amère.

    (Jacques Sicard)

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  • OMBRES FRIABLES

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       La Taupe de Tomas Alfredson ne vaut que pour son atmosphère poussiéreuse que sécrètent les personnages qui la respirent. Personnages tels que des sculptures de sombres grains lentement érodées par un dur rayonnement intérieur. Et dont l’univers est la condensation éphémère de leur effritement.

       Le film exploite la belle idée de la Génèse : que l’homme est poussière et que la poussière retourne à la terre, selon ce qu’elle était. Celui-ci ne se décompose pas, il se délite comme du vieux papier ; ne pourrit pas, mais se désagrège comme des piments mis à sécher. Au lisier des écoulements, se substitue la pelle qui recueille les miettes.

       Il tombe en poussière de son vivant et chaque instant, indépendamment de son contenu, en est l’urne. Même l’économie protectionniste de la pensée dépose après elle ses invisibles poussiers. Dépôts, dont la tonalité générale oscille entre le bistre et la pomme blette, qui inaugurent le règne du particulaire. Le vent les soulève en nébuleuse de débris et les modèle en objets de monde. Une nature et une culture mirageuses qu’éclaire une espèce de rayonnement fossile. Un fond de lumière diffuse où se découpent et s’agitent, tantôt cherchant la fée de leur jeunesse, tantôt piquant où pique le Diable, avant le coup de balai final, les ombres friables des pauvres diables.  

    (Jacques Sicard)

     

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  • SIMULACRE EMOUVANT

      

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       Le chemin bordé d’arbres est un long chemin.

       Que dire du chemin que bornent la maîtrise de l’énergie, l’urbanisation, le traitement de l’information, la capacité à faire la guerre ? Tire-t-il autant en longueur que le raidillon naturel ? Est-il aussi peu évitable que lui, incommode et sans accueil, ne proposant que le chantage d’y souffrir ensemble ou rien ?

       Une manière de syllogisme semble pouvoir répondre par la négative : rien de plus artificiel que les critères de développement d’une société  humaine–  or l’homme est un artefact – donc le mieux placé pour contredire ce régime d’artifice.

       Critique de l’artifice, oui, mais pour un trompe-l’oeil moins vil. Critique du semblant, mais pour un simulacre émouvant.

       A l’exemple cinématographique d’une petite brune italo-tripolitaine qui parle l’Espagnol comme on embrasse au fond d’un corridor, le pli des seins huileux, qui donnent au voyeur l’allure ébrieuse. Les yeux se ferment de vertige, à l’aveugle leurs doigts rétiniens en détaillent la plantureuse anatomie : c’est plat comme une belle peinture, eût dit Degas, c’est Rossana Podesta.

    (Jacques Sicard)

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  • QUAND LA FORME USE LE FOND

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       « Tout comprendre, c’est tout mépriser ». Nietzsche ne se borna pas à être le contempteur du nihilisme. Il en fut aussi l’ange. Disposition qui cristallisa notamment dans l’évocation de l’Art. « La vérité est laide : nous avons l’Art pour que la vérité ne nous fasse pas périr ». « L’existence et le monde ne sont justifiés qu’en tant que phénomène esthétique. »

      Comment le nihilisme nietzschéen s’accomplit-il au cinéma ? Quand tout se répète, non selon le toujours neuf éternel retour mais l’usant retour du même.  Quand la monotonie du montré est redoublée par le montreur. Quand le quotidien de l’homme de somme : l’obsession du feu, l’eau cherchée au puits de plein vent, l’enfilage taiseux des couches de vêtements, la charrette et son cheval qui renâcle sous le fouet, le plein jour comme un degré de l’ombre, le travail le travail le travail le travail le travail, la flamme à la mèche, l’escabeau à la fenêtre, la poignée de secondes installée à demeure, les ongles qui épluchent les patates brûlantes, l’oubli de la facilité qu’il y aurait à mourir – quand ledit quotidien est vu à travers les mêmes cadrages, les mêmes distances, les mêmes rythmes, les mêmes angles, le même découpage. Quand tout se passe comme dans un assemblage mécanique animé d’un mouvement de friction de deux pièces métalliques que rien ne distingue, sinon que l’une est plus dure, plus abrasive. Quand la forme use le fond, à le faire disparaître, et qu’elle reste seule, vêtue d’un gris magnifique entre le fer et la perle.

    (Jacques Sicard)

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  • ADORABLE VOISINE

     

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    Sonnez la cloche, ouvrez le livre, soufflez la chandelle : Breton eût-il reconnu dans cette formule d’opérette la puissance de soulèvement qui permet l’entrée des succubes ?

     Sonnez le grelot de la mémoire : la petite cloche qui sert à rythmer les repas où domine l’odeur de la soupe du soir, quand l’enfance déjà nulle et naine ; le tintinnabulum plus tardif du réveil au coin du lit ; la clarine des jours et des intérims. Les voyez-vous revenir, les souvenirs si bien timbrés ? Que leur massacre commence.

     Ouvrez le livre, quel qu’en soit le récit, il sera une fabrique de ruines : l’acte de raconter est la forme même de la conscience et la conscience la condition de tout effondrement.

     Soufflez la chandelle – et c’est la nuit, la nuit du fourreau de soie noire de Kim Novak, voluptueuse sphinge à tête-de-mort. On dirait un poignard. Dont la lame serait de bois. Mélange de sadisme et d’atermoiement. Le goût du meurtre uni à l’absence de passion. On la dirait, avec ses longs sourcils arqués comme deux petites cornes, deux petites ailes – on la dirait enveloppée d’air, uniquement. C’est l’image invisible, dite image latente, reprise des premiers temps de la photographie, quand l’ancienne plaque recouverte de poudre d’argent du daguerréotype ne fixait que les objets dénués de mouvement et conservait l’empreinte d’un être humain à la condition expresse qu’il ne bougeât pas.

    (Jacques Sicard)

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  • INTERLUDE - Les Hautes solitudes, de Philippe Garrel

     Le visage de Jean Seberg, non pas lorsque portraituré, et c’est si souvent. Et souvent si beau. Quand, par exemple, la valeur éteinte de la lumière, la tonalité trotte-menue des nuances monochromes et la saturation basse où transparaît le poil du coton blanc qui sert de support à l’écran, nous suggèrent, pour elle seule et ses traits, en dépit du ridicule qu’on leur prête, le fragile langage bébé dont usent les amoureux et les baisers de toute l’âme qui volent à son secours.

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    Pourtant, le visage de Jean Seberg, non pas lorsque portraituré, mais le visage de Jean Seberg lorsque accompagné, lorsque suivi à hauteur vertueuse de ses pommettes. Alors, comme le long d’une haie de ronces – une mûre, rouge. De cette couleur au-delà du noir ou l’absolu du noir qu’est le rouge. Mûre, dont la rayonnante exception n’admet que la main d’un tiers pour la cueillir. Bienheureuse procuration. Si c’était possible. De regarder à la place de vivre.

     (Jacques Sicard)

     

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